Journée internationale dédiée aux droits des femmes

Entrepreneuriat féminin

Céline et Polo sont aujourd'hui à la tête de la Brasserie Lefebvre. Frère et sœur représentent la 6ème génération de cette brasserie familiale.

Est-ce la première fois qu’une femme est à la tête de la Brasserie et quels rôles avaient-elles avant ?

Je ne peux pas dire que je suis la première femme à la tête de la brasserie. Peut-être la deuxième ? Ma maman était impliquée dans la brasserie d’un point de vue administratif et financier. Donc, elle a travaillé ici. C’est vrai qu'on présente toujours l’homme. Leur génération c’était quand même: “c’est Philippe le propriétaire”, “c’est Philippe qui gère”, etc. On a commencé à avoir une mise en avant du rôle de ma maman à la fin de sa carrière. 

Je pense que ma position en tant que femme dans la brasserie est plus mise en avant aujourd’hui, parce que la société est plus encline à ça et que je ne me serais pas laissée faire de toutes façons.

Les autres femmes ont plutôt été des soutiens. De ce que j’ai vu, ma grand-mère était vraiment au service de mon grand-père: elle préparait les repas, il ne faisait pas la vaisselle… donc c’était plutôt un soutien “logistique” privé qu’un soutien “professionnel”. À l’époque c’était comme ça. Ça voulait aussi dire que lorsqu’il y avait des clients et qu’ils restaient manger, il fallait que ce soit prêt. Ma maman et moi sommes plus “professionnelles”, “opérationnelles”, on a “les mains dedans”.

Quelle vision as-tu de l’entrepreneuriat en général et plus précisément dans le secteur brassicole?

L’entrepreneuriat, aujourd’hui, il faut être sérieusement accroché pour pouvoir le gérer mais les gens qui le pratiquent n’ont pas besoin de beaucoup de paroles pour se comprendre. 

On vit tous les mêmes ennuis mais on vit aussi tous de belles histoires. “Il faut savoir respirer le parfum des fleurs” comme dit mon frère. On vit de belles victoires quand on sait qu’on a mis tout en œuvre pour atteindre un objectif, qu’on a l’équipe qu’il faut autour de nous. Je pense que c’est important, il faut le souligner, l’entrepreneuriat à plusieurs ça ne fonctionne que si l’équipe autour fonctionne. Quand on est seul, quand on est indépendant on ne peut compter que sur soi-même : pour chercher des clients, etc. Quand on est plusieurs, l'entrepreneuriat ne fonctionne que si l’équipe autour de soi fonctionne aussi. 

Par rapport à la brasserie, c’est un peu la même chose, on a des soucis mais on a aussi de belles victoires, on a de belles histoires, de belles histoires humaines. C’est ça qui nous motive à venir travailler et à gérer cette entreprise familiale avec, quand même, 50 personnes à manager. 

Je pense qu’aujourd’hui, à la brasserie comme ailleurs, c’est l’équipe qui fait beaucoup et c’est ça qui principalement nous motive. 

Comment t’est venue l'idée d’entreprendre et de relever ces défis?

Ça c'est assez marrant. Je suis passée pendant mes humanités par plein de phases. Je n’avais pas du tout dans l’idée de reprendre la brasserie alors que je voyais mon frère brasser dans la cuisine chez nos parents. 

Je bossais à la brasserie en été, je faisais mes jobs étudiants, mais je n’avais pas cette vision de la reprendre. Après ma rhéto, je suis partie un an en Espagne. J’ai remué ciel et terre pour avoir, le jour de mes 18 ans, 3 cartons de Barbãr à mon appart’ en Espagne. Et là, à force de raconter “mon papa et maman sont la 5ème, nous la 6ème génération”, je suis revenue en étant indécise et en me disant que c’était terrible cette dualité que j’étais en train de de vivre. Petit à petit, ça s'est installé. J’ai convoqué un espèce de forum familial avec mes parents et mon frère. Mon frère avait presque déjà passé la moitié de ses études. Je leur ai dit “je veux bosser à la brasserie, mais je sais que je ne suis pas faite pour les sciences et de toute façon je ne veux pas marcher sur les plates bandes de mon frère. Je pense que je vais faire sciences éco, ingénieur de gestion ou autre chose, je n’en sais rien encore mais je voudrais prendre part à la partie administrative”. Une fois convaincue, j’ai fait mon mémoire sur un sujet bien précis de la brasserie. Il n’y avait plus de remise en question, c’était clair. 

Quel est le plus gros challenge que tu as dû relever en tant qu'entrepreneure?

Trouver l’équilibre “vie de famille, vie professionnelle”. C’est encore un challenge aujourd’hui. C’est vraiment cet équilibre pour ne pas se laisser embarquer dans une dynamique : “chouette les enfants sont aux scouts le samedi, je sors mon ordinateur et je bosse”. Je ne suis pas du tout là-dedans mais il ne faut pas grand-chose pour que j’y arrive. Régulièrement, quand je ferme mon ordinateur le vendredi soir, je me dis : “je vais faire ça et ça du week-end, comme ça je serais plus avancée lundi” mais finalement, je ne le fais pas. Donc le lundi quand j’arrive, je commence par ces deux points là. Il ne manque pas grand-chose, je pourrais basculer facilement.

Le challenge, c’est ça: essayer de garder l’équilibre pour que cette vie d’entrepreneure ne soit pas exclusive et prenne toute la place dans la vie de quelqu’un. Je pense que ce n’est pas sain. 

En tant que femme, t’es-tu heurtée à des barrières dans cette vie d’entrepreneure ?

L’entrepreneuriat féminin, heureusement, a une plus grande place aujourd'hui mais il y a encore du boulot. L’entrepreneuriat féminin au sein de la brasserie est difficile. C’est un monde encore très masculin et il y a une espèce de patriarcat bien ancré à tous les niveaux. 

J’ai l’impression qu’une femme dans ce milieu doit prouver dix fois plus sa légitimité et ça donne peut-être parfois le reflet que je suis dure et exigeante mais je suis tellement exigeante envers moi-même que je le suis aussi envers les autres. 

Je pense que ça fait partie de ce microcosme brassicole hyper patriarcal où il faut sans cesse faire ses preuves. 

Maintenant, heureusement, j’ai une fonction dans la fédération des brasseurs. Je suis la plus jeune, je suis une femme et j’ai l’impresion que je suis entendue, que je n’ai déjà plus rien à prouver de ce côté là. Je suis aussi vice-présidente du comité PME, au sein de Fevia (Fédération de l'industrie alimentaire belge) donc c’est un cran au-dessus de la fédération des brasseurs et là, je commence doucement. J’étais “plus haut” dans la hiérarchie de Fevia Wallonie mais il me semble que ma place, avec tout le vécu qu’on a ici, est plus légitime au niveau du comité PME. Le fait qu’on m’ait demandé de l’intégrer en tant que vice-présidente ça veut aussi dire que je suis légitime.

J’ai l’impression qu’une femme à moins droit à l’erreur, à moins droit à un petit “coup de bambou” parce qu’on doit être sans cesse au taquet, parfaite. Les mentalités changent et je sais que certains hommes sont d’accord avec moi. Je trouve que tout le monde gagnerait beaucoup plus à prendre la parole quand il y a quelque chose qui se dit, qui est mal placé. J’ai l'impression que c’est souvent les femmes qui se battent pour les femmes et que beaucoup n’osent pas vraiment donner son opinion de peur d’aller contre ce système semblablement parfait.

Comment définirais-tu l'entrepreneuriat en une phrase?

Je vais reprendre celle de mon frère : “Il faut savoir respirer le parfum des fleurs”. L’entrepreneuriat c’est quelque chose de relativement compliqué, mais avec une bonne équipe on avance bien. Regarder les défaites et ne plus les reproduire c’est très bien mais surtout regarder les victoires c’est quelque chose d’important. Les mettre en avant et les fêter avec son équipe. Ca veut dire aussi, et ça rejoint ce que j’ai dit avant, que le plus gros challenge est de savoir combiner vie privée et professionnelle. “Savoir respirer le parfum des fleurs” ça peut aussi englober savoir prendre une pause. Ce n’est pas si mauvais que ça, lorsqu’on revient au boulot, quand j’arrive à vraiment bien couper, j'ai plus d’énergie, d’idées. 

Aimerais-tu donner un conseil  à celles qui veulent devenir entrepreneures?

Avoir confiance en elles et, si c’est en équipe, de bien s’entourer. S’assurer que les gens qui les entourent ont le même mantra. Ne pas penser sans cesse qu’elles doivent prouver leur légitimité.

Si on a confiance en soi, ce besoin de prouver est moins fort. Il ne faut pas hésiter. Je pense que tout le monde a de bonnes prédispositions à être entrepreneur. Il y en a qui en ont plus que d’autres. Certains ont été éduqués comme ça, d’autres non. Quand je vois dans ma classe de rhéto ceux qui, aujourd’hui, sont entrepreneurs, je ne suis pas surprise. Quelque part, je pense que c’est ancré en nous mais si on est bien entouré, tout le monde est capable de le faire. Il suffit d’avoir la bonne idée. 

Mot de fin :

J’aimerais qu’il y ait plus de femmes dans la brasserie, même en production. Je trouve qu’on apporte une autre sensibilité au travail (...) une autre vision, une autre manière de faire. Je trouve que ça apporterait un plus. 

 

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